En guise d’introduction, ce petit extrait de Black Mirror, saison 3 épisode 1 : « Smart-City Life » :
Aujourd’hui où, tous, nous utilisons les techniques publicitaires afin de rendre désirables nos événements voire nos positions politiques, il semble important de revenir sur l’origine des « relations publiques » : il s’agit bien d’un instrument du pouvoir pour écraser et enfoncer sous terre ceux qui s’y opposent.
Pour en parler, j’ai repris de larges extraits d’un mémoire de la mention Histoire & Civilisation de l’EHESS, de 2014, intitulé « Au tribunal de l’Opinion Publique », 1919-1929, débuts du premier cabinet de conseil en relations publiques, « Edward L. Bernays » : histoire et contre-histoire d’une technique d’influence.
En 1922, Ivy Lee – un des pères fondateurs des relations publiques – éditait un journal gratuit nommé « Public Relations », mettant en évidence que la publicité était de plus en plus nécéssaire vis-à-vis de cette nouvelle puissance du 20e siècle : l’opinion publique.
Or, Ivy Lee est d’abord connu pour avoir apporté son aide à Rockfeller à la suite du massacre de Ludlow, le 20 avril 1914.
Dans une mine de la Colorado Fuel & Iron Company, des mineurs avaient cessé le travail depuis septembre 1913. La compagnie ne cédait pas et faisait venir des travailleurs de lointaines régions, en assurant leur protection avec des milices privées. Aussi, l’Etat du Colorado décidé d’instaurer la loi martiale, et fit venir ses propres troupes, qui conjointement se mirent à effrayer et se montrer hostiles envers les grévistes. Ceux-ci décidèrent de s’armer et occupèrent des terres non exploitées appartenant à la mine, en s’y retranchant afin d’éviter d’autres menaces. Echec, puisque le 20 avril 1914, une fusillade se transforme en bataille rangée, 500 ouvriers affrontent 200 miliciens. La supériorité technique des miliciens fit tourner l’affrontement au massacre. Une quarantaine d’ouvriers périrent. […] Une commission est chargée d’enquêter et Lee intervient. Il s’agissait pour lui de diffuser le point de vue des Rockfeller contre celui des martyrs. Il créa donc un bulletin (« Faits concernant la grève pour la liberté d’industrie, dans le Colorado »), qui parut tous les sept jours de juin à septembre 2014 et envoyé à des « officiels publics, éditeurs, ministres, professeurs, importants professionnels et hommes d’affaires ». [1] Lee y propageait des faits distordus, racontant les soi-disant « immoralités » des ouvriers, publicisant leurs vies privées.
Par la suite, le cabinet d’Edward Bernays s’inscrira dans la même démarche. Faire accepter l’entrée en guerre des Etats-Unis pour la première guerre mondiale en employant les stars du cinéma de l’époque pour galvaniser les foules.
Ici, Charlie Chaplin.
« Depuis la fin du XIXe siècle, une succession de grèves, de manifestations et d’émeutes fait trembler tout le pays. (…) S’il a été possible de faire adhérer les américains à la guerre sans remettre en cause les pratiques démocratiques, il doit être possible de faire adhérer les classes ouvrières au modèle de société qu’ils ont toujours rejeté. » nous dit le commentaire de Propaganda. Et en effet, c’est aussi au maintien de l’ordre que vont servir les relations publiques.
Il existe une réelle différence entre publicité et relations publiques. La publicité essaye de capturer l’attention du public et de raconter ce qu’on aimerait faire connaître au public. Les relations publiques proposent un ajustement de ses clients avec le public. On écoute le public, analyse ses attitudes envers le client. On conseille le client sur comment et quand modifier son action afin que le public l’approuve. Et alors seulement, on donne l’information au public.
(du cabinet « Edward L. Bernays » et épouse de Bernays.)
Si Bernays peut considérer qu’il ne fait pas « mal » en manipulant les esprits pour ses campagnes pour les compagnies de tabac, par exemple, c’est parce qu’il vend ce qui était considéré comme « bien » par la société de son époque. Ainsi, les Relations Publiques vont s’appuyer sur cette nouvelle morale de la société, dans la mesure où leurs champs d’action sont les choses.
Emanuele Coccia, dans Le Bien dans les choses [2], affirme de la publicité contemporaine qu’ « il s’agit d’une forme de pédagogie collective mais elle ne s’exerce pas seulement à trvaers la réflexion et l’introspection : elle devient tout de suite concrète dans une gymnastique, elle se réalise dans un monde peuplé d’objets et pas seulement d’états d’âme. Le façonnage social ne porte plus seulement sur les caractères et les capacités mais aussi et surtout sur des petits mondes portables. C’est peut-être ce réalisme extrême qui a fait de la publicité l’agence morale la plus diffusée et la plus écoutée dans le monde. » [3] La publicité, plus que simple idéologie et appareil économique, est une forme de la morale occidentale, elle dicte le Bien, le Juste, ce qui est bon et mauvais pour nous, ce que l’on doit désirer et ne pas désirer.
[…]
La marchandise étant une manifestation du bien, toute chose l’est également. La publicité, cette activité consistant à moraliser les choses, ou plutôt, à être le porte-parole du Bien dans ces Choses, se transforme donc en agence morale.
[…]
La publicité est donc une forme de discours moral qu’il ne faut pas voir comme « le Mal », bien au contraire. Elle est le rêve contemporain et collectif sur les choses. Les relations publiques s’emparèrent d’un tel rêve et l’affirmèrent altérable. Si Freud avait fait des rêves une clé de l’inconscient, les relations publiques firent de ce rêve collectif la clé de leur pratique. En se focalisant sur la manière dont sont perçus les objets, les relations qu’un certain « public » entretient avec ceux-ci et en proposant des « ajustements » [4], les relations publiques proposent une méthode de fabrication du Bien dans les Choses.
« Modifier son action afin que le public l’approuve. » signifie simplement modifier la perception même que « le public » se fait d’un objet. Trouver une vertu, Le Bien – la santé, le progrès, le changement, etc. – et le distiller dans toute la société par une série de canaux de communication sélectionnés à l’avance.
Contrairement au publicitaire, le conseiller en relations publiques est capable de produire le Bien dans les choses. Il s’occupe justement de cette relation aux marchandises et de la perfection du lien entre les hommes et les choses, c’est-à-dire sous le capitalisme, entre les hommes et les marchandises.
A l’heure où il nous a semblé judicieux voire nécessaire dans les enjeux politiques que nous portons d’utiliser les mêmes armes que le pouvoir en terme de communication – martelage de nos propos, relance systématique auprès de ceux qui sont dans nos réseaux, boostage d’événements facebook, objets publicitaires divers et variés – et donc d’installer NOTRE idée du Bien, il me paraissait essentiel de se remémorer l’origine de ce qu’on utilise maintenant systématiquement.
Point de berger et un seul troupeau. Chacun veut la même chose, tous sont égaux : quiconque est d’un autre sentiment va de son plein gré dans la maison des fous. Autrefois tout le monde était fou, disent les plus fins et ils clignent de l’œil. « On est prudent et on sait tout ce qui est arrivé, de sorte que l’on n’en finit pas de se moquer : On se dispute encore, mais on se réconcilie bientôt, de peur de se gâter l’estomac. On a son petit plaisir pour le jour et son petit plaisir pour la nuit, mais on révère la santé. »Nous avons inventé le bonheur" disent les derniers hommes, et ils clignent de l’œil.
Un apperçu est visible : ici.
Comment influencer les foules ? À travers la figure d’Edward Bernays (1891-1995), l’un des inventeurs du marketing et l’auteur de « Propaganda », un passionnant décryptage des méthodes de la « fabrique du consentement ».
Si les techniques de persuasion des masses apparaissent en Europe à la fin du XIXe siècle pour lutter contre les révoltes ouvrières, elles sont développées aux États-Unis pour convaincre les Américains de s’engager dans la Première Guerre mondiale. Peu connu du grand public, neveu de Sigmund Freud, l’auteur du livre de référence Propaganda et l’un des inventeurs du marketing, Edward Bernays (1891-1995) en fut l’un des principaux théoriciens. Inspirées des codes de la publicité et du divertissement, ces méthodes de « fabrique du consentement » des foules s’adressent aux désirs inconscients de celles-ci. Les industriels s’en emparent pour lutter contre les grèves avec l’objectif de faire adhérer la classe ouvrière au capitalisme et transformer ainsi le citoyen en consommateur.
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